Présentation de la direction Théologie orthodoxe et science « St. Grégoire Palamas »
Présentation de la direction Théologie orthodoxe et science "St Grégoire Palamas"
Le « désenchantement » du monde est le syntagme qui désigne, depuis l’ère moderne, la perte du sens métaphysique et le rejet de toute forme de connaissance alternative à la science. Cette mentalité exprimait la confiance illimitée dans le pouvoir de tout expliquer à travers l’exercice scientifique de la raison, cette dernière étant vue comme une sorte de lumière devant laquelle devait s’effacer toute « ombre » métaphysique. Il s’agit d’une époque où les progrès des sciences, dans « le contexte d’une société à la fois savante et désenchantée, qui "progresse" très vite sans savoir où elle va »[1], donnait l’impression qu’on pouvait comprendre jusqu’au bout le réel physique, exclusivement à travers ce réel. On proposait donc un modèle de connaissance autonome par rapport à toute entreprise métaphysique ou religieuse. Jean Fourastié l’exprime ainsi : « Tout ce mouvement, ses cause et ses effets peuvent être rattachés directement ou indirectement au progrès des sciences expérimentales : directement par l’exclusion affirmée de Dieu, hypothèse inutile […]; indirectement par le spectacle permanent de l’efficacité scientifique opposée à celle de la foi »[2].
Si donc, sous l’emprise de la vision newtonienne d’un univers fragmenté, mécaniste et déterministe, le monde paraissait une grande machine composée de particules matérielles inertes, soumises à des forces aveugles que l’on pouvait espérer décrire d’une manière déterministe à partir d’un petit nombre de lois physiques, car le réductionnisme régnait en maître[3], le développement des sciences physiques à partir du vingtième siècle a commencé à renverser la tendance. Aujourd’hui, on peut identifier un retournement de plus en plus évident, comme un fleuve qui rassemble des eaux de sources différentes, au moment où les implications métaphysiques des nouvelles découvertes scientifiques sont d’une telle importance, qu’un certain nombre de scientifiques parle déjà en termes de « ré-enchantement » du monde par rapport au phénomène précédent. De quoi s’agit-il, plus précisément ?
Le philosophe des sciences Jean Staune le caractérise ainsi : « De l’étude de l’infiniment petit à celle de l’infiniment grand, de l’étude de la vie à celle de la conscience, une nouvelle vision du monde a déjà émergé. Elle "rouvre les chemins du sens", comme le dit Bernard d’Espagnat, voire va jusqu’à permettre "la convergence entre Science et Religion", comme l’affirme Charles Townes. Elle va déconstruire les conceptions mécanistes, réductionnistes et matérialistes dans les sciences dites "de la matière". De même va-t-elle poser la question (sans toutefois y répondre) du sens, voire celle de l’existence d’un créateur dans les sciences de l’univers. Enfin, elle va montrer que la contingence ne règne pas en maître dans les sciences de la vie. »[4]
Le monde n’est plus aujourd’hui tel que la modernité le concevait. Une attitude beaucoup plus humble est désormais de rigueur dans le monde scientifique, en raison d’une meilleure conscience des limites à l’intérieur du savoir scientifique, et il faut souligner qu’il ne s’agit pas d’un recul du savoir, d’un échec de la science, d’une sorte d’abdication de l’homme devant des mystères qui le dépassent. Au contraire, observe Jean Staune, maintenant nous savons d’une manière scientifiquement rigoureuse les raisons pour lesquelles nous ne savons pas certaines choses, et, ce qui est révolutionnaire par rapport à la modernité, les raisons pour lesquelles nous ne saurons jamais certaines choses. C’est donc un progrès et non un échec de la science.[5] Ainsi, comme le disent le physicien Sven Ortoli et le journaliste scientifique Jean-Pierre Pharabod dans leurs ouvrage commun « La cantique des quantiques », la nouvelle science porte en elle « les germes d’une immense révolution culturelle »[6].
Une nouvelle vision sur la nature, qui reste aujourd’hui insuffisamment vulgarisée, a déjà émergé, et des changements qu’on peut caractériser de révolutionnaires sont désormais présents. Prenons l’exemple de la physique. On apprend à travers le principe d’incertitude d’Heisenberg qu’une incertitude fondamentale existe dans l’univers au niveau des particules élémentaires et que le déterminisme professé par la modernité n’est plus d’actualité. Le dualisme onde-corpuscule change aujourd’hui notre vision sur la matérialité et l’expérience des fentes de Young nous montre que les fondements de la matière ne sont pas des objets matériels comme on le croyait auparavant. L’existence d’une dimension non locale dans l’univers a été démontrée expérimentalement, ce qui veut dire que dans le monde microscopique, dans certaines situations, deux particules doivent être considérées comme un unique objet quelle que soit la distance qui les sépare.
Tous les concepts traditionnels de temps, espace, causalité, localité s’appliquent d’une manière différente au niveau microphysique par rapport aux lois newtoniennes. On parle aujourd’hui d’incertitude, d’indétermination, d’imprédictibilité, d’incomplétude et d’indécidabilité, et toutes ces notions incitent à une réévaluation de la confiance sans limites que la modernité professait à l’égard des possibilités du savoir scientifique. Une nouvelle attitude, plus humble, mais non pas moins scientifique, réside dans la conscience actuelle qu’à travers la méthode scientifique on ne peut pas tout savoir. D’où l’idée, comme le propose l’astrophysicien américain Trinh Xuan Thuan, que pour aller jusqu’au bout et accéder à la réalité ultime il nous faut faire appel à d’autres formes de connaissance complémentaires, comme l’intuition mystique ou spirituelle, informées et illuminées par les découvertes de la science.[7]
L’objectivité au sens fort du terme a cédé la place à l’intérieur même de la science, à une « objectivité faible » car l’observateur fait désormais partie du processus d’observation. Observer dans le monde de l’infiniment petit signifie nécessairement interagir avec l’objet à observer, d’où l’abandon concomitant de la neutralité de l’observateur que la physique classique nous assurait de posséder. On se rend compte aujourd’hui que la réalité n’est pas uniquement la réalité phénoménale, on postule désormais un « réalisme non physique » selon lequel la réalité véritable ne correspond donc pas à ce que l’on peut voir, mesurer, toucher. Ainsi, Bernard d’Espagnat peut parler d’une réalité qui est en grande partie voilée, cachée, intouchable par nos instruments de mesure, maintenant ou à jamais, d’où la proposition de parler du réel plutôt en termes de « réel voilé ».[8]
Cette conscience de la réalité qui échappe et qui échappera à jamais à l’investigation scientifique est une révolution absolue par rapport à la modernité. Et le fait le plus remarquable c’est qu’elle vienne du cœur même de la démarche scientifique : « Les maîtres les moins contestés de la physique contemporaine l’ont en effet maintes fois souligné : le champ du rationnel et de la science, ce n’est pas la réalité en soi, c’est l’ensemble des phénomènes (si complexes qu’ils nous paraissent) : c’est la réalité empirique ou vécue. Et ce qui dépasse, en partie au moins, les possibilités du rationnel et de la science […] c’est, précisément, ce […] que l’on nomme l’Être, ou la réalité en soi. »[9]
En parlant de cette réalité, le physicien Bernard d’Espagnat souligne qu’il n’envisage pas de parler de la transcendance au sens classique du terme ̶ son discours n’est pas théologique ̶ mais de la source même des phénomènes et de la cause profonde de l’évidente régularité de leurs lois qui intéresse les sciences. En utilisant le concept de l’Être pour le réel profond, il se demande si ce réel est véritablement connaissable scientifiquement, car il transgresse la frontière de toutes nos compétences et pouvoirs naturels. D’où son hypothèse, et ici il s’accorde avec l’astrophysicien américain Trinh Xuan Thuan, sur la nécessité de s’ouvrir à des formes de connaissances autres que l’exercice de la raison analytique. Une telle hypothèse est « audacieuse » pour un scientifique, Bernard d’Espagnat en convient, mais il défend sa position en constatant qu’elle rejoint le postulat commun des grandes religions, qu’elle a le mérite de pouvoir réconcilier l’homme d’aujourd’hui avec ses traditions et ses racines, tout en laissant « entrevoir ce dont l’homme a tant soif ».[10]
Le changement de paradigme en physique n’est pas un phénomène isolé au cours du vingtième siècle: toute une série de révolutions conceptuelles au sein d’autres disciplines est désormais visible. « Le XXe siècle a vu surgir toute une série de nouveaux paradigmes, certains d’ores et déjà bien établis, d’autres encore en gestation. Issus tout d’abord de l’étude de l’infiniment petit (la physique quantique) et de l’infiniment grand (l’astrophysique), ces nouveaux paradigmes sont ensuite apparus en logique, puis dans l’étude de la vie (biologie) et, enfin, dans celle de la conscience »[11]
Dans ce contexte, le philosophe des sciences Jean Staune n’hésite pas aujourd’hui à nous parler d’un nouveau paradigme, qu’il estime en train de devenir global. Il compare la situation de notre époque à celle du passage de la vision du Moyen Âge à celle des Temps modernes. Toutes les disciplines avaient alors évolué progressivement – sur une longue période, et pas toutes ensemble – pour permettre l’apparition d’une nouvelle synthèse, devenue aujourd’hui la science classique ou moderne. Jean Staune estime que nous assistons à un même phénomène car nous sommes en train de passer, depuis quelques dizaines d’années, de la modernité à quelque chose d’autre, que l’on appelle parfois « postmodernité ».[12]
Les nouveaux concepts à partir desquels la physique du vingtième siècle se définit, avec sa logique contradictoire et ses notions d’incertitude et de probabilité, les limites épistémologiques mises en évidence par l’astrophysique actuelle ou par la nouvelle orientation épistémologique de facture godëlienne en mathématiques, les recherches contemporaines concernant l’intelligence artificielle et les limites de la raison computationnelle, sont autant de repères qui invitent à une réflexion renouvelée au sein des sciences à propos des « certitudes » et de « l’espoir » que la modernité professait. Un nouveau champ de réflexion est désormais ouvert et qui nous interpèle thélogiquement. La direction « théologie orthodoxe et science » du Centre « Dumitru Staniloae » propose un travail de recherche et de réflexion : identifier aujourd’hui les convergences entre les resultats scientifiques et les intuitions spirituelles issues de la vie de l’Eglise, à l’ abri de toute tentation concordiste ou discordiste, nous apparaît d’être un travail plein de noblesse et d’utilité pour l’homme d’aujourd’hui. Il nous faut une comprehension spirituelle du monde où nous vivons, voici une mission precise pour notre direction de recherche.
NOTES:
[1] Claude Allègre, Dieu face à la science, éd. Fayard, Paris, 1997, p. 9.
[2] Jean Fourastié, Ce que je crois, éd. Grasset, 1981, p. 123.
[3] Voir : Jean Staune, Notre existence a-t-elle un sens ?, éd. Presses de la Renaissance, Paris, 2007, p. 13.
[4] Idem (éd.), Science et quête de sens, éd. Presses de la Renaissance, Paris, 2005, p. 9.
[5] Idem, Notre existence a-t-elle un sens ?, p. 42.
[6] Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod, La cantique des quantiques, éd. La découverte/Poche, Paris, 2004, p. 7.
[7] Voir : Trinh Xuan Thuan apud Jean Staune, op. cit., p. 14-15.
[8] Bernard d’Espagnat, Un atome de sagesse – propos d’un physicien sur le réel voilé, éd. du Seuil, 1982.
[9] Ibidem, p. 18-19.
[10] Ibidem, p. 19.
[11] Jean Staune, op. cit., p. 42.
[12] Ibidem, p. 43.
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